Créations en tension
Cet axe rassemble des chercheurs qui réfléchissent (par le biais de la théorie comme au travers de la création) des formes d’expression qui mettent en question les attentes et les conventions, en cultivant l’imprévu et l’inconvenant.
Ces deux notions seront pensées de façon transversale dans les arts, la musique, la littérature et les langues ; elles pourront être appliquées à des productions appartenant à un champ spécifique comme à des productions hybrides, du processus de création aux questions de réception. En tension par rapport à un cadre établi (esthétique, social ou disciplinaire), en tension par rapport à des manières de faire et de penser les objets, en tension enfin entre l’intention et la réception, entre l’œuvre et son public, les œuvres seront interrogées dans leur capacité à remettre en question les normes. |
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La notion d’imprévu renvoie à ce qui survient, générant surprise et étonnement, tant pour le créateur/producteur que pour le récepteur. Il est ce qui déroge au projet initial, ce qui surgit inopinément, mais dont on perçoit les potentialités. On considèrera ainsi l’erreur comme faisant partie du processus de découverte (scientifique pour Popper, et créative pour Gombrich), en s’intéressant à l’accident ou au raté, aux formes de ≪ défaillance ≫ ou de ≪ défection ≫, mais aussi aux dérèglements volontaires bouleversant les manières de faire, de dire, de traduire et de recevoir.
Pour le récepteur, l’imprévu est ce qui déroute le processus réflexif, poussant à reconsidérer les postures habituelles d’interprétation.
En arts plastiques, il s’agira d’aborder la mise en œuvre du trouble dans les processus de production, à travers les décalages, les déséquilibres, les écarts ou les excès.
En linguistique on pourra étudier le dérapage stylistiquement contrôle, l’innovation involontaire, le coup d’essai, les ≪ accidents de discours ≫ qui génèrent quiproquos, malentendus, sources de décalages conversationnels, d’ironie et d’humour.
En traduction, le raté soulève la question de la ≪ fidélité ≫ au texte-source où l’on (se) joue de l'imprévu (ruptures de style, de sens, etc.).
En poésie ou ≪ post-poésie ≫ contemporaine, sera examinée la défaillance du langage notamment, et l’étude de diverses figures stylistiques viendra nourrir la réflexion sur l’≪ imprévu ≫.
Associée à l’imprévu, la notion d’inconvenant revendique l’hors-normes. Audacieux, étrange et dérangeant, l’inconvenant déroge à la bienséance, aux attentes sociales et esthétiques. Les notions de censure, d’interdit, de tabou y sont liées. Elles s’apparentent pour le récepteur au ≪ choquant ≫, à l’≪ obscène ≫, mais on peut également y voir ce qui ne s’affirme pas dans un genre préétabli, ce qui se situe aux limites du dicible ou du visible. Les productions fragiles, précaires, au seuil de l’effacement, déceptives ou en voie de disparition, peuvent être envisagées comme résistant à une conception conventionnelle de l’art, tout comme les phénomènes de mise en faillite, d’érosion, de déchéance physique ou d’effondrement. Il s’agira aussi de considérer des productions qui subvertissent l’organisation des formes plastiques ou langagières...
En musique, on questionnera les sonorités inconvenantes telles que les bruits, les sons sales, satures, distordus (Castanet, 2008). Les technologies analogiques, puis numériques, notamment par le biais de l’enregistrement, et du traitement du signal ont parfois induit certaines dégradations de la qualité musicale du son, au regard de celle produite directement par les musiciens. Ces nouvelles matières ont été largement employées dans la création électroacoustique comme dans les musiques populaires.
On se demandera également comment apprécier si l’interprétation convient ou non. En design, le ≪ disconvenant ≫, comme modalité singulière de l’≪ inconvenant ≫, sera abordé à travers la question de l’≪ écart ≫. La ≪ disconvenance ≫ est à considérer non pas comme l’absence de convenance, mais comme l’acceptation de convenances autres, par le déplacement du point de vue déterminant ce qui ≪ convient ≫ ou ≪ ne convient pas ≫ / ≪ disconvient ≫.
En linguistique, l’inconvenant trouve sa place dans l’expression ou l’exploitation des sens figures, détournes, contournes et controuves, notamment par le prisme de la métaphore, non pas lorsqu’elle exprime traditionnellement un transfert, une substitution, une analogie, mais lorsqu’elle développe une impertinence, une attribution insolite, une anomalie sémantique, un conflit (Prandi 1992), une déviance (Kleiber 1999).
En poésie, on interrogera le déplacement des normes : l’≪ imprévu/inconvenant ≫ à tout prix de certaines créations ne devient-il pas une forme de nouvelle ≪ norme ≫ ou un processus ≪ attendu ≫ ?
Ces deux notions – ≪ imprévu ≫ et ≪ inconvenant ≫ – seront questionnées à partir de trois entrées : les processus de création, les approches transversales des formes d’expression et les situations de réception. |